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Partie 1 : Initiatives, engagements et témoignages de Barcelona

Jour 64 - 05/03/2020

RENCONTRE

Un regard sur les processus migratoires.

Que pensent les nouveaux citoyens ?

Dialogue avec les migrants.

Trois migrants, une femme et deux hommes racontent leurs parcours et leur vision de l’Europe. Trois regards croisés, trois destinées très différentes et pourtant... le tableau global éclaire en profondeur la venue en Europe des migrants africains et leur ressenti propre.

 

Tres migrantes, una mujer y dos hombres cuentan sus historias y su visión de Europa. Tres puntos de vista cruzados, tres destinos muy diferentes y, sin embargo... la imagen global ilumina profundamente la llegada a Europa de los migrantes africanos y sus propios sentimientos.

ROLAND FOSSO - LA ROUTE DU DÉSERT ET LE PASSAGE DE MELILLA

Roland vient du Cameroun, il est francophone. À la mort de sa mère il décide de migrer à la recherche d’une vie meilleure. C’est un périple de milliers de kilomètres à travers l’Afrique subsaharienne, passant par le Nigeria, le Niger, le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Algérie et la Lybie. L’odyssée de Roland est poignante, pleines de morts et de souffrances. Il y a les passeurs, toujours à l’affût d’une extorsion, pas fiables, arnaqueurs. Des sommes faramineuses sont réclamées. On demande 1000€ par personne pour traverser la Méditerranée dans un bateau de 300 passagers qui coulera en mer, sans lui, repoussé au dernier moment pour cause de surcharge. « La Méditerranée et le désert sont de vastes cimetières ». Il remercie Dieu et sa mère d’être resté en vie. Il les appelle ses protecteurs.

Roland traversera aussi le désert Malien où des Touaregs tuent un de ses compagnons afin de sortir 180€ de ses entrailles où il a caché ce maigre trésor. « Que vaut une vie humaine ? » se demande-t-il. D’autres prétendants à la traversée du désert meurent bêtement, écrasés par une voiture, piqués par des scorpions ou un serpent pendant leur sommeil. Les Touaregs le réduiront, lui et 16 autres voyageurs, quelques mois en esclavage, les nourrissant d’un verre de lait et de pain. Heureusement, sur la route, il y a aussi un peu d’humanité. Une femme de Touareg qui réprouve l’action de son mari organise leur évasion.

Après deux ans en Lybie et de multiples difficultés, Roland arrive près de Melilla, une enclave Espagnole de 12 km² située au nord du Maroc. Une destinée prisée par les migrants car elle évite d’avoir à traverser la Méditerranée. Une zone où les législations européennes de protection des migrants sont bafouées quotidiennement (voir la conférence de Margarita Martinez Escamilla ici et une vidéo illustrant les exactions des polices marocaines et espagnoles ici).

Des sommes sont versées au policiers marocains par les migrants réfugiés dans le massif de Gourougou pour qu’ils laissent passer les migrants. Ces mêmes policiers avertissent alors les policiers espagnols qui refoulent les migrants sans ménagement et sans respect des droits fondamentaux. En Espagne on appelle cela les « devoluciones en caliente », les retours à chaud. Ceci donne lieu à de véritables batailles rangées entre policiers et migrants qui essayent de passer en masse. Ces batailles finissent généralement très mal pour les migrants avec de nombreuses blessures, perte d’yeux et pieds cassés. D’où un incessant ballet surréaliste. Les quelques chanceux qui arrivent à se glisser entre les mailles du filet se retrouvent au-delà de cette zone-tampon frontalière et sont alors pris en charge par la Croix-Rouge.

Certains sont ensuite envoyés en Espagne par un ferry, sains et saufs.

À la conférence de Madrid sur le même thème, Margarita Martinez Escamilla nous a dit que les Nations-Unies ont élaboré un dossier expliquant que la libre ouverture des frontières permettrait non seulement d’en finir avec les milliers de morts en Méditerranée mais aussi de ne plus dépenser des millions d’€ tout en permettant aux migrants de rentrer régulièrement chez eux dans un équilibre qui ne serait pas une invasion comme on veut trop souvent le faire croire.

FATOU SECKA - UN REGARD DE FEMME

L’arrivée de Fatou en Espagne a été plus simple grâce au regroupement familial. C’est l’intégration qui a été plus compliquée. Déjà petite, elle se sent observée comme une bête curieuse et devient vite une enfant rebelle. La couleur de sa peau, sa culture africaine la rendent différente. Qui suis-je ? Son identité se cherche. Certaines et certains Espagnols l’accueillent cependant comme elle est. Grâce à leurs soutiens, en 1995 elle devient conteuse de contes africains. Elle se sent alors éducatrice, moteur de connaissance, force de changement. Les anglais parlent d’« empowerment » quand une personne fait grandir en elle sa propre puissance. En 1997, elle devient médiatrice interculturelle, une des premières en Espagne. S’adressant aux femmes africaines elle intervient pour la prévention du SIDA. Lors d’une rencontre à Bruxelles, elle découvre d’autres réalités africaines dont l’excision, qu’elle combat. Cette lutte la rend paria dans sa propre communauté où l’excision est un tabou. Mais elle ne lâche rien.

Au-delà de ses origines multiples elle se définit comme une personne humaine luttant depuis des décennies pour la sauvegarde des droits humains et l’égalité des genres. Elle rejette la tendance actuelle à tous classifier, diviser, séparer. Elle demande que l’on arrête de faire POUR les migrants et suggère plutôt que l’on fasse AVEC.

Elle place l’éducation comme un moteur central permettant à chacun.e. d’agir avec son propre potentiel.

Elle appelle enfin de ses vœux une unité véritable des femmes pour qu’ensemble elles bannissent les violences qui leur sont faites et soient enfin LIBRES ET VIVES !

DEUCALINO MUVUMA- UN REGARD DÉCOLONISÉ

« Je suis né en Angola et y suis resté jusqu’à l’âge de 10 ans. A six ans, j’ai perdu la vue. A 10, je suis venu à Barcelone me faire opérer des yeux et retrouver une vision claire. Issu d’un milieu bourgeois, j’ai fait mes études en Catalogne, de sociologie. Bien que souffrant quelquefois de racisme ordinaire, j’ai grandi comme un espagnol moyen. A l’adolescence j’ai eu une crise identitaire importante. Je suis alors revenu en Angola de 2011 à 2014. Je m’y suis senti aculturé. Le processus d’intégration en Espagne m’avait sorti de ma culture angolaise originale. En fait je me sentais de nulle part.

Il a fallu travailler. Tout ce que j’ai trouvé sur place c’est un poste d’agent de sécurité, dans un supermarché, équipé d’une mitraillette, pour 180€ par mois. Mes études antérieures m’ont permis d’analyser ma situation personnelle et celle de l’Angola dans un contexte socio-politique défavorable à l’Afrique. L’Angola est un pays riche, un des premiers exportateurs de pétrole en Afrique. Les disparités économiques sont énormes avec une minorité riche vivant dans le luxe et des ghettos pauvres et insalubres.

J’ai perdu de nouveau la vue et suis rentré à Barcelone où on m’a de nouveau opéré, ce qui m’a permis de revoir. Je me suis alors posé la question : comment échapper à ces logiques ? Rester en Espagne où ma couleur de peau pose problème ? Revenir en Angola où la suprématie blanche domine via les lois du marché ? C’est une problématique que je partage avec des millions de personnes à travers le monde. Les 5 derniers siècles sont empreints du colonialisme et de l’esclavage.

Cela fait moins d’un siècle que l’on parle de droits humains en Afrique et guère plus en Europe. Les vieilles logiques colonialistes reprennent du poil de la bête via l’économie. Les médias modernes diffusent des récits qui amènent à des violences structurelles et individuelles discriminantes.

J’écris en ce moment sur la décolonisation. Comment se fait-il que pour empêcher la liberté de mouvement on en arrive à tant de morts ? L’Europe paye pour cela. Les états financent le FMI pour entretenir cette logique via les plans d’ajustement structurel. Ces logiques désespérantes amènent, au niveau individuel, à la rébellion et à la résistance,

dans tous les espaces.

Ma vie est un miracle, car j’aurais pu la perdre à de maintes occasions. Ma couleur de peau ne devrait jamais être un marqueur particulier. Même en Afrique, les dynamiques économiques stigmatisent ma couleur de peau. Le système, monté comme il est, permet cela. Il nous faut créer des espaces signifiants, des espaces de reconnaissance, non occidentalisés. La modernité envisage l’être humain en termes de productivité, donnant des privilèges à une minorité.

Ceci dure depuis 5 siècles et se renforce maintenant. L’Europe s’est construite sur l’idée du respect des droits humains, sur le respect des réfugiés et l’on voit maintenant ce qui arrive.

Je devrais être reconnaissant à l’Europe qui m’a permis d’être opéré trois fois, d’étudier et de continuer à le faire. J’ai un bon travail. Mais je ne peux pas être reconnaissant car je sais que l’on m’a beaucoup plus enlevé que ce que l’on m’a donné. Au niveau personnel et au niveau global. Ils ne nous laissent aucune voie de développement, de représentation, d’égalité. Entre les peuples comme entre les hommes et les femmes. Les voix des descendants des esclaves ne sont pas prises en compte. Les multinationales en Afrique s’accaparent des terres. La biodiversité en souffre. Des syndicalistes sont assassinés en Amérique Latine.

Il faut sortir de cette représentation de l’être humain vu comme un outil de production et de reproduction. Aller vers une vision où l’être humain fait partie d’un écosystème beaucoup plus grand. Le marché ne peut pas croître indéfiniment, les ressources sont limitées. Nous ne naissons pas pour travailler et produire toute notre vie. Le prix payé, notamment par les habitants du Sud est trop cher.

Nous sommes responsables de nos récits. L’Europe qui s’est fondée autour des droits humains exerce sa violence envers ceux qui se présentent à ses frontières. Avec la loi des étrangers, avec l’espace Schengen. Il faut faire tomber les frontières, les extérieures comme les intérieures, dans notre mental.

Déconstruire, écouter, apprendre de nos expériences passées… »

Le soir, Maria DEL CARMEN (Maky), une de nos référentes sur place avec Rosa DURO, nous parle d'un projet qu'elle a contribué à créer : la Casa Emaus à Torremocha del Jarama qui est un lieu qui existe depuis 20 ans. Environ 200 personnes ont aidé bénévolement à sa construction pendant deux à trois ans. Ils ont seulement fait appel à une entreprise pour le fondations puis ils ont tout fait eux-mêmes. La Casa Emaus compte 108 chambres et offre à tous la possibilité de faire des activités en lien avec la non-violence, la solidarité, le partage (exemples : camps d'été, formations, rencontres...).

Jour 65 – 06/03/2020

Direction Baix Llobregrat, une région du sud de Barcelone pour rencontrer Anna et Marc (deuxième photo) de la fondation Espigoladors (les glaneurs). Rosa DURO, une de nos référentes, nous explique qu’avant, cette zone agricole permettait de nourrir tout Barcelone. Mais avec la modernisation et la construction de l’aéroport tout a changé pour ces champs.

Sur place, Marc nous raconte qu'ici « c’est une sorte de parc naturel où ce ne sont pas les animaux qui sont protégés mais les paysans. Les terres ne peuvent pas être vendues et des bâtiments ne peuvent pas être construits. »

« Nous sommes les glaneurs. Glaner c’est ramasser ce qui reste après la récolte. Beaucoup de ressources sont jetés, sur 10 pommes 3 ne seront jamais mangées. Par an, presque une centaine de paysans en Catalogne nous appellent lorsqu’ils ont terminé leur récolte pour nous donner l’opportunité de glaner dans leur champ. On glane des fruits et légumes qui ne sont pas vendables car trop gros, trop moches…

Depuis un an nous sommes passés du statut d’association à celui de fondation. Les glaneurs travaillent bénévolement mais moi j’ai un salaire. Les trois objectifs de la fondation sont :

- lutter contre le gaspillage alimentaire ;

- garantir le droit à une bonne alimentation ;

- offrir des opportunités de travail aux plus vulnérables. »

« Nous portons des gilets verts pour que chacun reconnaisse la fondation et comprenne que nous ne volons pas. Il y a une équipe de 500 bénévoles qui tourne et tous repartent avec un peu de fruits et légumes. 95% de la récolte est donnée à des entités sociales et la petite partie restante rentre dans notre cuisine et là-bas on produit des confitures, des pâtés, des soupes, des compotes… et on les vend dans des petits magasins sous la marque es im-perfect®. C’est cette vente qui nous permet de faire toutes nos activités dans les champs. »


Rencontre avec Josemaria ROJAS (à droite sur la photo) de l’association Aliments Solidaris qui vient récupérer les aliments directement après la cueillette pour les proposer aux personnes les plus dans le besoin. « Entre 80 et 90 familles, pas personnes mais familles de 1 à 4 personnes, par mois viennent dans notre lieu qui est entre le supermarché et la banque alimentaire. Ici, les familles choisissent les produits qu’elles veulent par un système de points attribués par les services sociaux. Ils peuvent les dépenser comme ils le souhaitent et ça change des caisses qu’on leur met entre les mains sans qu’ils puissent choisir. Mais nous avons trop de produits secs et pas assez de légumes c'est pourquoi nous travaillons avec les Espigoladors. »

L'association Aliments Solidaris compte entre 100 et 120 volontaires.

« Avec la cuisine, on pratique l’insertion sociale. On essaye d’avoir un fonctionnement durable depuis cinq ans mais on n’arrive pas à l’être complètement donc nous avons quelques subventions mais l’idée c’est de sortir de ce système et de produire une économie suffisante pour nous maintenir. »


Nous avons ensuite rencontré Célia qui était ravie de nous montrer le lieu de transformation des produits car elle prend beaucoup de plaisir à travailler ici.

« La fondation est née en 2014 pour trouver une solution à trois problèmes sociaux : le gaspillage alimentaire, la difficulté d’accès à une alimentation saine pour les personnes dans des situations vulnérables et, depuis la crise en 2014, les problèmes pour trouver du travail. Alors on a vu ces trois problèmes et on a fait ça !

Nous avons ici une petite cuisine qui est un « atelier d’innovation » sur le gaspillage alimentaire et de formation pour donner de nouvelles opportunités aux personnes en situation à risque social. En ce moment nous sommes une vingtaine avec 5 femmes en formation depuis 3 semaines ce qui va faciliter leur recherche de travail par la suite. »


« On travaille les légumes et les fruits qui ne sont pas jolis, pas parfaits et on en fait des produits finaux parfaits qui, en plus, donnent la possibilité à des personnes en difficultés de travailler. »

 

Los "espigoladors", después de la cosecha, recogerán las frutas y verduras que no se pueden vender. El 95% se distribuye a las personas necesitadas y el 5% se transforma en productos que dan trabajo a las personas vulnerables.


Le soir nous allons voir une représentation de Citoyen du monde, avec Ibrahima FAINKE. La soirée est organisée par La Xixa Teatre, une association qui met en avant des outils de théâtre et d'éducation populaire comme moyen de transformation sociale : le théâtre forum. Ils travaillent sur différentes thématiques : racisme, interculturalité, xénophobie, genre, égalité... toujours en facilitant la création d'espaces de prise de pouvoir et la participation citoyenne.


Jour 66 - 07/03/2020

Conférences au centre Silencio : Arturo DOMINGO sur l'héritage Gandhien et Louis CAMPANA sur l'économie non-violente. Puis rencontre avec Marti OLIVELLA de l'Institut international pour l'action non-violente (NOVACT). Présentation :

Par le recours à l'action non-violence, NOVACT s'efforce de créer une société fondée sur la sécurité humaine et la non-violence, exempte de conflits armés et de violence dans toutes ses dimensions. Comprenant la non-violence comme une stratégie de transformation, NOVACT vise à contribuer à un monde pacifique, juste et digne. Objectifs : soutien non-violent ou pacifique des mouvements de résistance civile ; développement des opérations civiles de maintien de la paix ; observation, enquête, soutien aux processus de consolidation de la paix, de médiation, de prévention des conflits ; utilisation du plaidoyer pour que les acteurs gouvernementaux, locaux et internationaux travaillent en faveur de la sécurité humaine, de la paix et de la démocratie dans toutes ses dimensions.

 

Con el uso de la acción no violenta, NOVACT se esfuerza por crear una sociedad basada sobre la seguridad humana y la no violencia, libre de conflictos armados y violencia en todas sus dimensiones.

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